Les Dégenreuses

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Canons d’ailleurs – le bishônen japonais

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Dans nos sociétés occidentales, les idéaux de virilité  sont associés à la puissance physique et la robustesse. Bien trop compliquée la situation du jeune homme qui ne correspond pas à ces critères, souvent liés à la violence. Il existe cependant d’autres avatars de masculinité, aux origines moins occidentales, mais tout aussi modernes. Portrait d’un idéal masculin bien connu de l’amateur de manga et d’anime et qui fait le bonheur des Japonaises et des nippophiles à travers le globe, j’ai nommé : le bishônen.

Facilement reconnaissable à ses attributs physiques, le bishônen – littéralement « joli garçon » ou « beau jeune homme » – a la silhouette fine, élancée, une chevelure artistiquement travaillée, les traits fins et anguleux et souvenant la peau pâle et délicate. Dans les mangas et autres supports de la japanimation, il a les yeux grands et bordés de longs cils, le visage féminin. Vous l’avez sans doute déjà vu, vous ne pouvez pas être passé à côté. Des classiques Chevaliers du Zodiaque en passant par Dragon Ball Z et Lady Oscar jusqu’aux plus récents succès shôjo Host Club ou Nana, il a même envahi les shônen Code Geass et Death Note. Mais le bishônen est loin de se cantonner à la fiction japonaise.

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A dire vrai, le travestissement et le flou entourant l’appartenance sexuelle est très ancrée au Japon et l’esthétique du bishônen a été fortement influencé par les onnagata, ces acteurs de kabuki qui interprétaient des personnages féminins sur scène à partir du 17ème siècle. Le terme bishônen – de 美 (bi) beauté (nom plutôt attribué pour qualifier le féminin) et shônen (collégiens et lycéens de sexe masculin) – désignait « [quelque chose d’] esthétiquement différent à la fois des femmes et des hommes […], tous deux l’antithèse et l’antécédent de la masculinité adulte« . Ainsi, il y a un millénaire, l’esthétique bishônen était déjà présente dans les premiers récits, comme Le Dit du Genji qui raconte la vie du Prince impérial Genji dont la beauté transcendantale ensorcelle à la fois hommes et femmes.

Aujourd’hui, l’esthétique bishônen persiste et se perpétue dans les animés et les mangas, mais également dans tous les pans de la pop-culture japonaise et est-asiatique. Par exemple, la plus grande agence d’artistes, Johnny & Associates Entertainment Company, spécialisée dans la découverte de talents masculins, recrute exclusivement des jeunes hommes correspondant au canon bishônen : les traits fins, le cheveu rebellement travaillé et l’orientation sexuelle volontairement ambivalente, voire complètement dissimulée afin de maintenir leur popularité. Beaucoup de groupes jouent de ces ficelles avec habileté, rencontrant un succès fulgurant en Asie du Sud-Est, comme le groupe Arashi, en séduisant à la fois les femmes et les jeunes filles par leur beauté androgyne (voire carrément féminine, rappelez-vous X Japan dans les années 90).

Yoshiki - X Japan

Yoshiki – X Japan

Le groupe Arashi

Le groupe Arashi

Comme le fait remarquer Christy Gibbs dans son article (en anglais) sur le bishônen, ce genre de personnages serait déconsidéré par un public peu familier de la culture populaire japonaise. J’écris « déconsidéré » quand Christy Gibbs écrit « d’un point de vue anglo-saxon particulièrement, il est difficile de prendre un personnage de bande dessinée au sérieux, encore moins quand il porte des vêtements extravagants […] et qui a l’air aussi à l’aise en posant la main sur la hanche » ou encore « la plupart associerait leur maniérisme avec leur prétendue homosexualité« . Ce qui serait faux. En fait, un nombre très restreint de personnages bishônen sont réellement homosexuels. D’ailleurs, en se penchant sur le rôle que remplit le bishônen, aussi bien dans les mangas et animes que dans les groupes de musique, on se rend compte qu’il est une sorte d’appât visuel car il s’agit d’une représentation physique d’un idéal de beauté masculin pour la femme japonaise. Androgyne, le bishônen transcende la force de la masculinité traditionnelle ainsi que la grâce et la beauté habituellement rattachées à la féminité.

C’est là qu’on en vient à la comparaison avec l’idéal masculin occidentale. Par opposition, ce dernier doit être musclé, puissant, bref, évoquer une certaine domination physique. Or, le bishônen nous montre précisément qu’il existe une autre façon de plaire et d’être homme. Et pas seulement au Japon.

Tout d’abord parce que les personnages bishônen tapent magnifiquement dans l’œil de ces demoiselles européennes. Dois-je vous rappeler que la France est le premier consommateur de manga et de japanimation après le Japon ?
Ensuite, parce que nombre de nos idoles occidentales fondent leur sex-appeal et leur succès sur leur bishônen attitude : les jolis garçons du groupe One Direction les premiers; et même Robert Pattinson qui fait palpiter le cœur des midinettes et qui a été élu en 2010 parmi les « World’s Most Beautiful« . Le pâle et filiforme Edward Cullen n’aurait-il pas quelque chose à voir dans ce curieux hasard ?
Ainsi, sans rien connaître du phénomène bishônen qui a lieu au Pays du Soleil Levant, la jeune fille occidentale en est finalement toute imprégnée.

Edxard Cullen - Robert Pattinson dans Twilight

Robert Pattinson alias Edward Cullen dans Twilight

Moi-même, mes personnages préférés sont souvent fortement imprégnés de l’esthétique bishônen. Mais plus j’y pense, plus je m’aperçois qu’elle influence aussi mes goûts IRL (oui, je parle comme une geek et j’assume).

 Et vous ? Pensez-vous que le bishônen puisse détrôner l’idéal viril occidental (si ce n’est déjà fait) ?

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Source complémentaire :  Pflugfelder, Gregory M. (1999). Cartographies of desire: male-male sexuality in Japanese discourse, 1600-1950. University of California Press.

Auteur : borderblue

Elfe invocatrice, accesoirement étudiante en Marketing & Communication. Rôliste et MJ à ses heures perdues. Amatrice de MMORPGs au point d'être GM, de littérature (de qualité littéraire, j'y tiens) fantasy, fantastique et parfois SF, de cases et de bulles d'ici et d'ailleurs. Nippophile et adoratrice de Nintendo. Geek depuis Sonic et la MegaDrive. Féministe avant même de le savoir.

13 réflexions sur “Canons d’ailleurs – le bishônen japonais

  1. Plutôt que de le détrôner, j’espère qu’ils seront sur le même pied de considération, histoire que chacun et chacune puisse s’identifier à son aise 🙂
    Personnellement même si j’aime beaucoup l’esthétique bishônen (le manga Nana m’aura bien fait baver …), mon compagnon actuel est aux antipodes de ce schéma de beauté !

  2. L’occident, cela fait beaucoup de cultures.

    L’imagerie populaire occidentale c’est beaucoup les USA en fait. Séries TV, comics, Jeux vidéos.

    Dans la culture américaine, le sport est beaucoup plus valorisé qu’en France et les sports majeurs sont ceux qui impliquent une certaine puissance physique : Football US, Boxe, Lutte Libre, MMA, Sprint et même Basket et Baseball.
    Le culte du corps est très développé.

    En France, je pense pas l’attrait pour les beaux jeunes est apparu avec les bishonen.
    Les dandys, à l’allure élégante et raffinée ont toujours eu du succès.

    On peut même remonté jusqu’à l’antiquité avec une imagerie allant du « david » jusqu’au « boxeur des thermes ».

    • Je suis assez d’accord sur le fait qu’en Occident, le côté effectivement un peu Dandy, le côté un peu androgyne, etc. a toujours plu aux femmes.
      Après ce que je me dis aussi, c’est que c’est souvent dans un cadre de « tromperie » : un archétype où le personnage ment, et où finalement, il n’est pas très clair et fait du mal justement aux femmes qui l’approchent… comme un démon.
      Je n’ai malheureusement pas de référence claire en dehors des vampires :x.

      • Morphea : « Bel ami » de Guy de Manpassant est bel exemple de dandy arriviste.

        D’ailleurs, l’adaptation au cinéma a utilisé Robert Pattinson pour incarner le personnage principal.

        Comme quoi…

  3. Très bon article !
    Effectivement, mes goûts pour les hommes réels ont été fortement influencés par mes lectures de mangas. Mes personnages préférés étaient (sont toujours) des hommes comme Nobu (Nana), Sanji (One Piece) ou Sanzo (Saiyuki). Et force est de reconnaître que mon amoureux correspond davantage à un bishônen qu’à un mâle bien viril occidental.

    Mais me concernant, je trouve cette alternative salvatrice et j’espère que de plus en plus d’hommes y verront là une référence potentielle. Savoir qu’on peut plaire sans être nécessairement viril au regard de notre grande société occidentale quand on est un homme aidera, je pense, grandement à libérer ces messieurs des injonctions à des choses absurdes comme « boys don’t cry ».

  4. « L’orientation sexuelle volontairement ambivalente, voire complètement dissimulée afin de maintenir leur popularité »

    L’orientation sexuelle des Johnny’s n’est pas dissimulée pour faire croire à une ambivalence, elle est dissimulée parce qu’elle n’a pas lieu d’exister. Les idoles (garçons ou filles), ne sont pas sensé(e)s avoir de petit(e) ami(e). Il suffit de voir à ce sujet les scandales provoqués par Minami Minegishi ou Jin Akanishi.

    Ceci étant dit, je ne sais pas si les standards japonais remettent réellement en cause les standards occidentaux. Ce sont des standards visuels. Les « gender roles » des mangas et animes japonais sont-ils réellement différents de ceux que l’on peut trouver dans n’importe quel roman français ?

    • C’est donc bien ce que nous écrivons : la sexualité est dissimulée afin de maintenir leur popularité. Je pense que nous tombons d’accord 😉

      Comme vous le relevez, il s’agit de standards visuels. Ainsi, je pense qu’on peut plus aisément les comparer à la bande dessinée ou à l’imagerie occidentale. Prenons la bande dessinée franco-belge : la plupart du temps, la sexualité des protagonistes est inexistante (je pense aux grands classiques des Schtroupfs, Astérix et Obélix, Spirou…). Dans les bandes dessinées plus « adultes » et récentes (Lanfeust de Troy, Le Scorpion, XIII), je n’ai pas l’impression de retrouver beaucoup de points communs avec les caractéristiques spécifiques au bishônen.
      Je me suis peut-être un peu égarée. Mais pour ce qui est du « gender role » (ou comportement genré, si c’est bien ce que vous entendez), je pense en effet comme vous que les standards occidentaux et japonais soient très éloignés. La société japonaise est d’ailleurs l’une des plus sexistes du monde. Le bishônen reste, il me semble, le prince charmant, le mauvais garçon ou l’étudiant inaccessible, ce qui ne le différencie pas trop des « idéaux » présentés dans les romans à l’eau de rose (de ce que j’en sais). Mais était-ce pareil il y a quelques années ?

      • Pour moi le bishonen est dans la lignée des éphèbes de l’antiquité grecque.

        Pour les différences de canons esthétiques masculins entre BD occidentales et japonaises, je pense que l’ajout ces dernières années des clichés esthétiques des bishonen aux clichés esthétiques des BD adultes/adolescents à donner un peu de « variété ».

        Mais au final cela reste des personnages dont l’apparence est là pour les fantasmes des uns et des autres.

        Enfin, cela reste mon avis 🙂

  5. Reblogged this on Rewinding Ariane's thread | Rembobinage du fil d'Ariane and commented:
    Une jolie présentation du phénomène des « bishônen », ces jeunes hommes qui transcendent les critères de beauté masculine et féminine et flottent entre les univers des deux sexes.

  6. Pingback: Le Crossplay Cosplay | Les Dégenreuses

  7. Moi je ne vois pas trop l’intérêt de ressembler à une femme

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